Jacques Généreux F »i »

Jacques   Généreux

la « tête pensante » économique du Parti de Gauche

Monsieur Jacques Généreux qui est certainement très gentil et bien intentionné car faisant parti du cercle dirigeant du Parti de Gauche dont la figure de proue est Monsieur Mélenchon, est un « économiste » qui a écrit entre autres un livre ayant pour titre « Les Vraies Lois de l’économie » où il traite de « 11 vraies lois de l’économie ».

Ci-dessous l’intégralité de la « loi N°2 » dont le titre à lui seul, pour un économiste, est tout un programme.

Je n’ai commenté que la moitié du texte pour l’instant. Mais le reste est à l’avenant… plus tard peut-être… Autant de confusions sur des concepts élémentaires est consternant.

Et ce livre a eu le « PRIX DU MEILLEUR LIVRE 2002   de l’Association des professeurs de Sciences-Po. »   Misère !…

Je vous souhaite une bonne lecture.

Loi N° 2

Ce qui a de la valeur n’a pas de prix

Quel est le fondement de la valeur? Qu’est-ce que la richesse ? Pourquoi des questions aussi fondamentales sont-elles aujourd’hui absentes du débat académique ? Tout simplement parce que la plupart des économistes considèrent qu’elles ont été réglées de façon quasi définitive voici plus de cent trente ans. Et, pour le profane, les réponses semblent probablement triviales : à l’évidence en économie et pour les économistes, a de la valeur ce qui a un prix, (À l’évidence, Généreux dès le départ, confond valeur et prix)c’est-à-dire tout ce qui est susceptible d’une évaluation monétaire ; et  » être riche « , c’est  » avoir de l’argent  » ou des biens, des titres, des talents qui valent de l’argent. Oh, certes, le bon sens populaire est aussi convaincu que, bien souvent, ce qui a vraiment de la valeur  (Ici ‘de la valeur ‘ est mis pour  ‘de l’importance ‘ ) dans la vie d’un homme n’a pas de prix (Quand on dit qu’une chose ‘n’a pas de prix’ ça signifie qu’elle est très importante, précieuse. Dire ‘la santé, ça n’a pas de prix ‘ signifie tout simplement que la santé, c’est important, précieux. Rien à voir avec le prix monétaire d’un objet. Généreux mélange tout, une vraie bouillie conceptuelle. ). Qui n’a pas dit un jour :  » La santé, ça n’a pas de prix !  » ? Et l’amitié, et la paix, et tutti quanti. Mais le même bon sens, soutenu par le discours économique dominant, est persuadé que ces belles pensées n’ont pas cours chez les économistes : l’économie est la science des valeurs marchandes. C’est pourtant absolument faux ! Mais cela n’empêche pas la vision marchande de la valeur d’imprégner le discours économique dominant dans le débat public contemporain.

La vision marchande de la valeur

    Cette vision marchande de la valeur et de la richesse est en effet le fondement implicite d’une série de postulats – tout à fait explicites, eux – qui caractérisent le discours néolibéral de ces vingt dernières années. Résumons-les brièvement. Seules les entreprises créent les  » vraies  » richesses et donc les  » vrais  » emplois. Certes, une société ne peut se passer de certaines activités publiques (police, justice, etc.) parce qu’elles sont utiles au fonctionnement harmonieux et paisible des activités productives. Mais les biens publics n’ont pas de valeur en soi. (Stupide. Un réseau routier, un réseau de distribution d’eau, une école, un hôpital  etc etc sont des biens publics qui ont une valeur : du travail a été nécessaire à leur production. Quand les prémisses sont aussi fausses, comment construire un discours pertinent ?)

Ils sont des coûts nécessaires à la création des richesses, ils ne sont pas des richesses : les impôts levés pour les financer sont donc des  » prélèvements  » sur la richesse d’une nation. C’est bien la raison pour laquelle on parle toujours du  » poids  » de l’Étal mais jamais du  » poids  » de l’automobile ou du  » poids  » de la banque. Au compte d’exploitation de la nation, l’activité des entreprises est un produit. l’État est une charge. Il s’ensuit logiquement qu’il convient toujours de réduire les dépenses publiques et les impôts autant qu’il est possible pour orienter de préférence les ressources vers les productions marchandes. La loi de la valeur marchande n’est pas neutre; elle fonde une vision marchande et ultralibérale de la société.

Pourtant, cette loi de la valeur n’a quasiment jamais été défendue par aucune école de pensée, et la théorie économique la plus orthodoxe, dont se réclament souvent les libéraux, a adopté depuis la fin du XIX une définition radicalement différente de la valeur. Dès 1776. Adam Smith écrivait :  » Un homme est riche ou pauvre suivant les moyens qu’il a de se procurer les besoins, les commodités et les agréments de la vie[1].  » Autrement dit la substance de la richesse et de la valeur est fondée sur la satisfaction de tous les besoins humains, sur ce qu’Adam Smith appelle la « valeur d’usage  » et la plupart des autres économistes l' »utilité ». Karl Marx sera le seul à vraiment contester cette vision en reconnaissant dans le travail la substance de la valeur. Mais, au sein de l’économie orthodoxe, la nature de la valeur, et. partant, de la richesse, ne fait pas vraiment débat.

Les difficultés de la valeur travail

Des controverses vont néanmoins apparaître parce que la valeur, outre la question de sa nature, soulève aussi celle de sa mesure. Deux pistes de recherche vont s’opposer pendant près d’un siècle. La piste française, initiée par Etienne Bonnot de Condillac (en 1776) et Jean-Baptiste Say (en 1803), fonde la valeur (Non, là, c’est le prix) des biens sur leur utilité, appréciée subjectivement par les individus et échappant par conséquent à toute mesure objective. La piste anglaise, initiée par Adam Smith (en 1776) et généralisée par David Ricardo (en 1817), cherche au contraire un étalon objectif de mesure de la valeur.

Smith et Ricardo tout en reconnaissant au fond que l’utilité des biens constitue l’essence de la valeur, pensent qu’elle ne permet pas d’expliquer la formation de la valeur (Non pas l’essence mais la condition première)dans les échanges (c’est-à-dire les prix). En effet, explique Adam Smith, l’eau, qui a la plus grande utilité, n’a quasiment aucune valeur sur le marché, tandis que le diamant, assurément moins nécessaire à la vie que l’eau, a un prix très élevé. La valeur d’usage parait donc incapable de fonder une explication des valeurs marchandes (De la confusion nait la bouillie : On retrouve à l’arrivée la bêtise professée au départ…quelle surprise !…). L’étude de l’économie, qui a alors pour principal objet l’explication rigoureuse des phénomènes associés au développement de l’économie marchande, ne peut se contenter d’une définition philosophique de la valeur, impuissante à décrire la réalité des échanges. Mais alors, pourquoi ne pas mesurer les valeurs par les prix tout simplement ? (Mais c’est ce qu’il fait depuis le début, encore et toujours …)

Les prix sont alors disqualifiés comme étalon de mesure des valeurs parce que leurs variations reflètent autant l’instabilité de la valeur de la monnaie (l’or à l’époque) que l’évolution de la valeur des biens. Smith et Ricardo cherchent donc (Non, ça c’est la vision bébête à Généreux. La recherche de ce qui fonde la valeur n’est pas liée à une  question de stabilité mais plutôt à la compréhension de  ce  sur quoi est basé l’échange honnête (non basé sur un rapport de force ou la tromperie) de 2 objets) un étalon de mesure dont la valeur propre soit plus stable que celle de l’or. Ils proposent alors de prendre pour étalon la quantité de travail incorporée dans les biens. La théorie de la valeur travail est née. Mais elle va bien vite rendre l’âme dans le courant dominant. Cette piste de recherche soulève en effet des questions complexes qui resteront longtemps sans réponse satisfaisante. Comment comparer le temps de travail incorporé dans les biens quand le travail n’est pas homogène ? Autrement dit. une heure de travail d’un ingénieur vaut-elle autant, plus ou moins (Question imbécile. Personne n’a jamais pensé qu’une heure d’ingénieur pouvait valoir moins qu’un heure de manœuvre. Mais 1h d’ingénieur ne PEUT valoir en moyenne plus de 1,2 h à 1,5 h – au maximum – de manœuvre. Ceci s’explique facilement par le temps et les moyens nécessaires à la formation temps qu’il faut répartir sur l’ensemble du travail fourni durant sa vie professionnelle les moyens ayant été pour l’essentiel assumés par la collectivité ) qu’une heure de travail d’un manœuvre? De plus, les biens sont produits avec du travail, mais aussi avec du capital (les outils, les équipements).(Oui et alors ?…  les outils, les équipements sont aussi produits par du travail …  c’est par très compliqué comme le constate Ricardo)

On peut bien sûr, comme le propose Ricardo. Considérer le capital comme du  » travail indirect « , dans la mesure où sa production incorpore du travail (et du capital qui incorpore à son tour du travail, etile ainsi de suite). Mais comment mesurer la contribution de ce travail indirect, qui est de plus très hétérogène en qualité et en durée de vie? Assez vite, les économistes vont se rendre à l’évidence : la théorie de la valeur travail semble être un imbroglio indémêlable (??? … Il faut avoir un pois chiche pour penser cela de la mesure de la valeur par la quantité de travail)  John Stuart Mill la rejette dès 1848 dans ses Principes d’économie politique, considérés comme la dernière grande synthèse de l’économie politique classique.

Bref, on revient (???) à la case départ et à la conception de Jean-Baptiste Say. A de la valeur (prix )ce qui est utile (Nécessaire mais pas suffisant) aux hommes. Une explication simple de la formation des valeurs marchandes (des prix) est par ailleurs offerte par la tension entre la rareté des biens et l’intensité de la demande. Les biens rares et fortement demandés sont chers, les biens abondants et/ou peu demandés sont bon marché. Il faut souligner aussi que la conception de la valeur fondée sur l’utilité écarte explicitement l’idée que seuls les biens échangés sur des marchés auraient de la valeur et seraient source de richesse. Là encore, les néolibéraux qui soutiennent aujourd’hui une conception marchande de la valeur devraient relire Jean-Baptiste Say, principal précurseur du modèle néoclassique sur lequel ils pensent fonder scientifiquement leur discours. Voici par exemple le commentaire critique qu’il fait à la lecture de Ricardo :

« Je ne saurais m’empêcher de remarquer ici que cette nécessité de fixer la valeur des choses par la valeur qu’on peut obtenir en retour de ces mêmes choses, dans l’échange qu’on voudrait en faire, a détourné la plupart des écrivains du véritable objet des recherches économiques. On a considéré l’échange comme le fondement de la richesse sociale, tandis qu’il n’y ajoute effectivement rien. Deux valeurs qu’on échange entre elles, un boisseau de froment et une paire de ciseaux, ont été préalablement formées avant de s’échanger: la richesse qui réside en elles, existe préalablement à tout échange : et, bien que les échanges jouent un grand rôle dans l’économie sociale, bien qu’ils soient indispensables pour que les produits parviennent jusqu’aux consommateurs, ce n’est point dans les échanges mêmes que consiste la production ou la consommation des richesses. Il y a beaucoup de richesses produites, et même distribuées sans échange effectif[2].  »

Et le Traité d’économie politique (1803) de Jean- Baptisa Say, comme ses correspondances avec ses collègues, consacre de longs développements à montrer que toute activité matérielle ou immatérielle, marchande ou non marchande, est créatrice de richesse, dès lors qu’elle est utile à quelqu’un. Le précurseur du modèle néoclassique libéral ouvre ainsi, malgré lui il est vrai, la voie d’une critique de la marchandisation du monde !

Dès le milieu du XIXe siècle, donc, l’idée que la valeur (Prix…  et encore … la phrase reste approximative car la  »subjectivité » toute relative du prix est souvent largement conditionnée par un rapport de force sociétal.) est définie subjectivement par les hommes eux-mêmes l’emporte sur l’idée d’une définition objective. (???… et non ! C’est seulement Mr Généreux et ses semblables qui pensent cela avec leur entendement de pois chiche.). Mais c’est une victoire par abandon provisoire du challenger (la théorie de la valeur travail)(Ça ne veut rien dire. Il faudrait écrire : valeur mesuré par le travail social pour une société donnée.) et qui ne règle en rien le problème qui avait lancé le débat. Comment expliquer en effet que certains biens très utiles ne valent quasiment rien sur les marchés ? Comment surmonter le paradoxe de l’eau et des diamants exposé par Adam Smith ?

De la souveraineté du consommateur
à la souveraineté du citoyen

    Dans les années 1860-1870, une solution élégante à ce paradoxe va définitivement assurer la victoire de la piste française. De façon indépendante, l’Anglais Stanley Jevons (en 1862), l’Autrichien Carl Menger (en 1870) et le Français Léon Walras (en 1874) développent la théorie de l’utilité marginale. L’utilité marginale est la satisfaction individuelle procurée par une unité supplémentaire d’un bien. Par exemple, quand vous avez soif, vous buvez quelques gorgées d’eau jusqu’à éteindre voire soif. L’utilité totale est la satisfaction globale de votre besoin. L’utilité marginale est le supplément de satisfaction que vous éprouvez à chaque gorgée d’eau. Selon la loi d’intensité décroissante des besoins, et donc de l’utilité (énoncée par Heinrich Gossen en 1854), il est raisonnable de penser que l’utilité de la première gorgée d’eau est plus forte que celle de la deuxième, et ainsi de suite, parce que la soif diminue au fur et à mesure de votre consommation d’eau.(bien sur avec l’eau c’est limpide …   comme de l’eau …  comment s’évalue « l’utilité marginale » d’une casserole, d’un livre, d’une paire de chaussette, d’un vélo …)   Cette observation conduit à énoncer la loi (???)de l’utilité marginale décroissante avec la quantité consommée.

Cet outil élémentaire apporte la solution au paradoxe de l’eau et des diamants. L’erreur d’Adam Smith fut de ne pas comprendre que c’était l’utilité marginale, et non l’utilité totale, qui pouvait expliquer la formation des prix. L’eau, qui est indispensable à la vie. a une utilité totale extrêmement élevée, mais une utilité marginale très faible: l’abondance de l’eau fait que les besoins sont satisfaits jusqu’à satiété.  Quand personne n’a soif, l’utilité du verre d’eau supplémentaire est nulle et donc son prix est également null’eau il y a un certain coût, variable selon les endroits, pour collecter (c’est quand même plus simple d’observer que pour avoir accès à de assainir et distribuer et c’est le travail nécessaire à cela qui détermine le prix de l’eau dans un système de gestion publique, – il faut rajouter a ces coût objectifs les bénéfices énormes de Véolia et consort …quand la collectivité délègue l’accès à l’eau à des groupes capitalistes – la soif, l’utilité décroissante des gorgées d’eau … faut être coupé des réalités pour faire siennes de telles âneries). Inversement, le diamant a une utilité totale insignifiante, comparée à celle de l’eau, mais sa grande rareté fait qu’il a une forte utilité marginale et donc un prix élevé (le diamant demande beaucoup de travail pour être extrait. C’est principalement cela qui conditionne son prix élevé, largement majoré par les « politiques » des diamantaires et joailliers. Comparer « l’utilité totale » – ??? -du diamant à celle de l’eau n’a pas grand sens ). L’utilité totale fonde la richesse, elle constitue l’essence de la valeur, mais c’est l’utilité marginale qui détermine les valeurs marchandes.

En éliminant la contradiction apparente entre valeur d’usage et valeur d’échange, cette  » révolution marginaliste  » consacre la vision subjective de la valeur, comme l’exprime avec force Carl Menger : « Ainsi la valeur n’est pas inhérente aux biens, elle n’en est pas une propriété […]. C’est un jugement que les sujets économiques portent sur l’importance des biens […]. Il en résulte que la valeur n’existe pas hors de la conscience des hommes [3].(« voila qui est explicite, monsieur Généreux reprend à son compte les âneries de Carl Menger sur la valeur. La valeur serait une notion qui relève de la subjectivité. Elle n’existerait pas hors de la conscience des hommes. Bien voyons…  ça risque quand même d’être difficile d’amener quelqu’un à échanger une Télé contre un verre de cornichons en lui expliquant que s’il pense que ce n’est pas équitable c’est qu’il croit stupidement qu’il faut plus de travail pour produire une télé qu’un verre de cornichon, notion stupidement objective, hors de la conscience des hommes )

Cette nouvelle définition, qui ne sera plus jamais sérieusement contestée au sein de la théorie économique orthodoxe, renvoie au placard des inepties économiques l’idée selon laquelle seules les entreprises et les activités marchandes créent des richesses. Il suffit qu’un être au monde considère les biens publics comme utiles à son bien-être pour en faire des richesses en soi. Et comme seul l’individu souverain peut savoir comment les ressources disponibles doivent être réparties entre biens publics et biens privés, la théorie économique est incapable de définir a priori un  » bon  » niveau d’État, pas plus qu’elle ne peut dire a priori la part que les voitures ou les poireaux doivent occuper dans le produit de la nation. Seule la délibération entre les individus souverains permet d’effectuer un choix collectif légitime sur le partage biens publics/biens privés. Ainsi, cette même théorie de la valeur qui va fonder la souveraineté du consommateur fonde aussi – malgré elle peut-être – la souveraineté du citoyen.

Arrivé là je fatigue un peu, je poursuivrai les commentaires à l’occasion mais je crains d’être un peu saturé ..

Le dévoiement de la loi de la valeur

Las, par une ruse insidieuse de la raison, la nouvelle théorie dominante allait par la suite contribuer à promouvoir une vision essentiellement marchande de la valeur. Ce dévoiement de l’approche subjective de la valeur s’explique par l’ambition principale du modèle néoclassique : démontrer que le libre jeu de la concurrence et la parfaite flexibilité des prix conduisent à un équilibre général (équilibre simultané de l’offre et de la demande sur tous les marchés) qui garantit un usage optimal des ressources. Alors, voici la ruse : si le prix d’un bien quelconque reflète toujours et partout l’équilibre entre son offre et sa demande, ce prix est une mesure de la valeur subjective que les individus attribuent à ce bien.

En effet, si, à ce prix, les acheteurs estiment que la valeur réelle d’une unité du bien (l’utilité marginale) est inférieure à son prix, ils refusent de l’acheter; il s’ensuit un recul de la demande qui fera baisser le prix jusqu’à ce qu’il soit égal à l’utilité marginale. Inversement, si la valeur subjective du bien est supérieure à son prix, sa demande augmente et son prix s’élève jusqu’à rétablir l’égalité entre valeur subjective et valeur marchande.

L’élégance évidente de cette solution au problème de la mesure des valeurs a, semble-t-il. suffi à nourrir ensuite une confusion colossale entre la substance de la valeur (le bienfait pour l’individu) et la mesure monétaire des valeurs marchandes. On ne peut en effet nier la propension évidente de nombreux économistes orthodoxes à raisonner  » comme si  » seuls IBS liions marchands avaient une valeur réelle, quand bien même cela entre en contradiction flagrante avec la définition subjective de la valeur. Mais si les néoclassiques oublient si volontiers de tirer toutes les conséquences pratiques et politiques de leur propre théorie de la valeur, c’est que leur objectif central n’a rien à voir avec la question de la substance de la valeur. Cette question relève à leurs yeux de la philosophie morale et politique, dont ils veulent, en réalité, se distinguer radicalement, pour ne s’occuper que des questions  » objectives  » susceptibles de mobiliser les outils mathématiques, grâce auxquels ils espèrent élever l’économie au rang des sciences physiques.

La  » solution  » néoclassique à la question de la mesure des valeurs est d’une élégance trompeuse. En fait, elle ne résiste pas plus de quelques secondes à l’examen des conditions nécessaires à sa pertinence. Et pour commencer, cette  » solution  » pensée à propos de biens de consommation privés qui satisfont directement les besoins des individus, s’applique assez mal aux matières premières, aux biens d’investissement et aux biens publics.

Ainsi, par exemple, la valeur marchande d’une entreprise, d’un appartement, d’un terrain, d’une matière première peut connaître des fluctuations considérables, en partie provoquées par la spéculation, dont rien ne permet de penser qu’elles s’accompagnent de variations équivalentes de l’utilité des biens en question. Le spéculateur qui achète un bien ou un titre, à un certain prix, n’exprime pas le niveau d’utilité que représente pour lui ce bien; il exprime sa croyance ou son pari dans la hausse prochaine du prix qui lui permettra un gain en capital.

Les prix ne peuvent bien évidemment pas mesurer la valeur des biens publics qui ne font l’objet d’aucun échange marchand. L’utilité de la défense nationale ne peut être évaluée par son prix de vente, puisqu’elle n’en a pas. C’est pourquoi les comptes de la nation mesurent la production de défense nationale par son coût de production pour la nation. Mais il est clair que cette mesure indirecte du  » prix à payer  » pour produire ce service ne nous dit strictement rien sur son utilité subjective pour chaque citoyen.

Mais les prix ne nous renseignent pas davantage sur la valeur subjective des biens de consommation privés, pour toute une série de raisons, dont nous n’évoquerons ici que quelques-unes. Les prix ne pourraient être considérés comme une mesure indirecte de l’utilité des biens que s’ils ne reflétaient rien d’autre qu’un équilibre librement négocié entre la volonté des vendeurs et celle des acheteurs, sur des marchés parfaitement concurrentiels, où aucun acteur n’a plus de pouvoir qu’un autre d’influencer les conditions de l’échange. Or dans la réalité, les prix sont affectés par bien d’autres choses – par exemple, les taxes et charges sociales dont les variations n’ont pas grand-chose à voir avec l’utilité des biens pour les acheteurs. Le fait que la même voiture soit plus ou moins chère des deux côtés d’une frontière, parce que les taxes y sont différentes, n’indique en rien que les habitants des deux pays concernés lui attribuent une valeur différente.

Par ailleurs, comme l’avaient déjà souligné les classiques anglais, les mouvements du prix d’un bien particulier peuvent en partie résulter d’un mouvement général d’inflation (ou de déflation) de tous les prix. Enfin, la plupart des biens de consommation ne font pas l’objet d’un prix librement négocié entre l’acheteur et le vendeur, parce que la plupart des marchés ne sont pas organisés comme des Bourses, où le prix pourrait être renégocié en permanence et refléter en continu les mouvements de l’offre et de la demande.

Quand vous commandez un café dans un bar, vous ne payez pas le prix librement consenti à l’issue d’une négociation : vous payez le prix qu’on vous demande, un point c’est tout. Et le même café consommé dans une autre ville, ou dans un autre quartier de la même ville, vous coûtera nettement moins cher ou sensiblement plus cher, pour une satisfaction (une utilité) très probablement identique. Il parait même raisonnable de supposer que c’est le café que vous payez un peu trop cher, par rapport à vos habitudes, qui vous procure le moins de satisfaction, parce que vous avez le sentiment d’être rançonné par un cafetier qui profile exagérément de sa situation. Vous ravalez votre rancœur, parce qu’il n’y a pas d’autre bar meilleur marché à un kilomètre à la ronde, mais vous ne négociez rien. Vous n’auriez pas ce problème si vous viviez dans le monde imaginaire de la théorie néoclassique des marchés concurrentiels. Dans cet univers, en effet, il est possible de lancer des enchères sur le prix du café, avenue des Champs-Elysées à Paris ou sur la Cinquième Avenue à New York, à 4 heures matin comme à midi.

La fiction de marchés parfaitement concurrentiels – fonctionnant toujours et partout – est nécessaire pour supposer que ce que font les individus et ce qu’ils payent reflètent leur meilleur choix possible et non un abus de pouvoir. Il est nécessaire que chaque individu dispose à tout moment, et en tout lieu, d’une égale liberté de mouvement et de négociation, sans quoi, en fait de choix et de valeur, les échanges et les prix refléteraient plutôt les rapports de forces entre les acteurs du marché.

Mais nous vivons dans un monde réel où l’égale liberté est une pure fiction. Certes, on peut dire en un sens particulier, que tous les consommateurs sont également libres d’acheter ou de ne pas acheter les biens disponibles et en conséquence, considérer qu’en acceptant de payer le prix qu’ils seraient libres de ne pas payer, ils manifestent la valeur qu’ils attribuent à ces biens. Mais c’est là une conception purement formelle et étroite de la liberté qui fait totalement abstraction du niveau et de la répartition des moyens dont disposent les individus pour mettre en œuvre leur droit formel. Prendre les actes constatés des individus pour des choix parfaitement libres, c’est faire l’impasse sur l’inégale capacité des individus à mener leur vie selon leurs souhaits. Cela revient à dire que les chômeurs de longue durée sont libres de se suicider pour échapper au chômage, que les pauvres sont libres de ne pas acheter de caviar et que, les riches étant par ailleurs libres de ne pas inviter les pauvres à leur table, tout le monde baigne dans le bonheur des choix souverains.

 

On saisit là l’enjeu caché d’une vision marchande de la valeur. Soutenir que les prix sont le seul reflet du désir des individus revient à considérer qu’ils ont tous des capacités et des contraintes strictement identiques, et donc une égale liberté de choix qui peut s’exprimer dans des négociations et se refléter dans les prix. Dans un monde imaginaire d’égaux, on peut dire que ceux qui ne consomment pas de caviar le font parce qu’ils préfèrent autre chose. Mais dans le monde réel, on ne peut pas dire qu’un chômeur de longue durée reste au chômage parce qu’il préfère cela à autre chose… au suicide, par exemple !

Derrière l’assimilation de la valeur des biens aux prix de vente librement négociés se cache ainsi (à peine) la volonté d’occulter les différences de capacité entre les individus et les rapports de forces qui commandent la formation des valeurs. Les premiers classiques anglais avaient bien l’intuition que la Valeur intrinsèque des choses risque d’être fort différente de celle qui est dictée par les forces du marché. L’intérêt de leur recherche sur la valeur travail était précisément de faire apparaître l’écart entre une valeur réelle fondée sur ce qu’il en coûte aux hommes de produire et une valeur socialement déterminée, où l’analyse pourrait déceler les rapports de forces, le rôle des institutions, celui des modes de production. On comprend ainsi pourquoi le courant dominant n’a plus jamais relancé le débat sur la valeur travail, alors même que la poursuite de cette recherche dans la mouvance Ricardo-marxienne proposait des solutions aux difficultés techniques soulevées par la théorie ricardienne de la valeur.

Mais le dévoiement de la théorie de la valeur que nous avons ici mis au jour ne peut être indistinctement assimilé à la théorie néoclassique de la valeur. Il n’y avait chez les premiers néoclassiques aucune volonté d’occulter les inégalités et les rapports de forces. Ils s’en inquiétaient même tout particulièrement, et la plupart d’entre eux seraient aujourd’hui considérés comme des  » hommes de gauche  » très réservés sur les bienfaits du capitalisme. La confusion entre valeur subjective et valeur marchande fut rappelons-le une déviation de la nouvelle théorie dominante, reflétant pour partie le souci de  » faire science  » (qui exigeait de disposer d’une mesure des valeurs) et pour partie un biais idéologique (fermer les yeux sur les inégalités). Mais cette déviation et ses conclusions sont incompatibles avec la définition de la valeur par l’utilité individuelle, définition qui interdit logiquement de réduire la valeur aux seules valeurs marchandes.

Déjà incompatible, donc, avec les prémisses de la théorie néoclassique, la vision marchande de la valeur l’est aussi avec ses développements ultérieurs. En effet, les recherches sur l’équilibre général d’une économie de marché allaient démontrer l’impossibilité de la toute première et plus élémentaire des conditions nécessaires à la confusion entre prix et valeur, à savoir que tout prix reflète un équilibre entre l’offre et la demande. La question de savoir si les prix du marché sont toujours et partout des prix d’équilibre est au cœur du programme de travail néoclassique, qui prendra exactement un siècle (1874-1973/74) pour répondre… que non ! C’est d’ailleurs ce qui va nous autoriser à énoncer notre loi n° 3 : la loi du déséquilibre général.

Post-scriptum

Remarques sur le post-scriptum

J’ai découvert les joies du marchandage au Cameroun, où j’effectuais mon service national en coopération au tout début des années 1980. Je devais vite apprendre que, bien souvent, les marchands estimaient davantage les clients qui marchandaient que ceux qui payaient le prix annoncé sans discuter. Car si les hommes entrent en relation pour faire des échanges, il arrive aussi qu’ils procèdent à des échanges pour entrer en relation. Sur le marché de Douala comme sur les routes où les contrôles de la gendarmerie s’intensifiaient en fin de mois, la palabre avait une valeur (importance) en soi, indépendante de son objet initial. Si mon goût naturel pour la palabre m’a permis de passer tous les contrôles de gendarmerie sans sortir un billet, il m’a aussi permis d’expérimenter une loi paradoxale de l’économie .A savoir : dans le marchandage, le bien prend de la valeur (l’importance) au fur et à mesure que son prix baisse !(non ce n’est pas une loi paradoxale de l’économie mais un paradoxe dans les relations humaines, c’est bien différent) En effet, le plaisir des mots et la chaleur du lien social tissé dans l’échange chargent les biens d’une valeur (importance) subjective d’autant plus forte que le marchandage perdure, alors même que celui-ci a pour effet ordinaire de faire baisser le prix. A la limite, les dernières tomates échangées, celles que le marchand dépose gracieusement dans le panier après la clôture de la transaction, sont, pour lui comme pour son client, les plus précieuses.

Devant ce paradoxe économique, je ne pouvais réprimer un réflexe d’économiste cynique. L’énigme apparente du marchandage avait deux solutions évidentes, pensais-je. 1) Le marchand surestimait le prix de départ en sorte de parvenir à son vrai prix d’offre après marchandage. 2) Le cadeau final était un investissement commercial visant à fidéliser le client. Mais pourquoi dépenser tant d’énergie pour un résultat qui serait atteint plus vite et aussi sûrement en annonçant d’emblée le dernier prix comme dans n’importe quel magasin? Et pourquoi, tout économiste cynique que j’étais, je ne pouvais m’empêcher de trouver un charme particulier à ces échanges ? (c’est ton problème Jacques, ta façon de voir, d’autres auraient pu n’y trouver aucun charme, voire trouver pénible de discuter longuement pour quelques tomates. Peut-être qu’on peut imaginer des relations humaines riches en dehors de l’achat de quelques biens  ? -je précise pour généreux que ici « relations humaines riches » ne signifie pas « relations humaines avec beaucoup d’argent » ) Il fallait bien se rendre à cette autre évidence : il se passait là autre chose qu’un simple troc de monnaie contre tomates.(oui et alors ? les relations humaines sont complexes, … la belle découverte)

Bon ! Mais économiste j’étais, économiste je resterais. Il n’y avait qu’à intégrer dans la transaction sa composante non marchande. Ainsi, toutes mes tomates, même celles qui étaient  » cadeau  » avaient été payées, mais pour partie seulement en monnaie, et pour le reste en paroles, puisque le marchand éprouvait un plaisir visible à palabrer. Mais surgissait alors une autre difficulté. Comment assimiler un paiement en monnaie, dont la privation me coûtait quelque chose, et un paiement en paroles, qui non seulement ne me coûtait rien mais me procurait un vrai bonheur? Car notre parole est un drôle de  » bien  » qui ne prend de la valeur pour nous-mêmes que lorsque nous le donnons. Je n’étais donc là qu’au tout début d’une exploration d’une économie du don à laquelle, fort heureusement (je devais le découvrir un peu plus lard), Marcel Mauss (pour en arriver là!… mais oui Marcel Mauss a écrit Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques en 1924 et aujourd’hui en 2013  et depuis pas mal de temps déjà, dans n’importe quelle grande surface il y a à certains moment où vous avez un produit « gratuit » pour un acheté et si on veut, on peut « philosopher » sans fin la dessus et voir un précurseur chez le marchand africain …. ou  des attardés chez les commerciaux, ou subodorer qu’on nous prend pour des idiots ou, … ou…) et quelques autres esprits brillants avaient déjà contribué. Comme cela n’était manifestement pas si simple et qu’il faisait très chaud sur le marché de Douala je ne poussai pas alors tellement plus loin mes réflexions.

Mais cela, bien sûr, ne gâchait pas mon plaisir de songer que, dans mon panier de tomates, c’était celles qui étaient  » gratuites  » qui avaient le plus de  » prix « .(mais oui Jacques, je suis content pour toi. Et pour moi c’est le yaourt « gratuit » qui est le meilleur 🙂  )

[1]        Essai sur la nature et 1es causes de la richesse des nations (1776). trad. Gérard Maire!. Gallimard, coll. « Folio Essais … 1976. p. 61.

[2]        Note de Jean-Baptiste Say sur l’édition du livre majeur de David Ricardo. Des principes de l’économie politique et de r impôt (1817). trad. Cécile Soudan. Garnier-Flammarion. 1992, p. 455-456. C’est nous qui soulignons.

[3]        Cité par Alain Samuelson. Les Grands Courants de la pensée économique, op. cit. C’est nous qui soulignons.